Les Grandes Conférences Liégoises remettent le couvert !

Ce 3 octobre 2024, La Barbe Liège s’est à nouveau invitée aux Grandes Conférences liégeoises. La récidive était payante : des policiers étaient au rendez-vous, prêts à intervenir dès l’apparition du premier poil synthétique sur scène.

Pourquoi cette action ? 

Depuis 2005, 84% des conférences ont été données par des hommes. 7 conférences, 6 hommes : c’est invariablement la même recette que nous sert chaque année l’organisation des Grandes Conférences liégeoises. Pendant 20 ans, celle-ci n’a visiblement pas pris acte des changements sociétaux de son époque. Pourtant, elle aurait pu le faire depuis 2019.

Notre fidélité inconditionnelle

En 2019, La Barbe Liège avait interrompu la conférences d’Etienne Klein pour « [félicier] les organisateurs des grandes conférences liégeoises de garantir une masculinité majoritaire dans le choix de leurs intervenants » (cf. le discours complet ici). Notre ironie ne semble pas avoir été comprise.

Intervention de La Barbe Liège aux Grandes Conférences liégeoises, le 10 janvier 2019 au Palais des Congrès, devant des salles de 1500 places.
Action de 2019, lors de la conférence d'Etienne Klein

Nous avons donc retapé sur le clou en 2022 en créant une campagne de communication complète promouvant un programme de conférences 100% féminin, sur des sujets qui nous semblent primordiaux. On l’a appelé modestement Les TRÈS Grandes Conférences liégeoises. Cette action soutenue par la Fédération Wallonie-Bruxelles avait pour but de sensibiliser le public liégeois à la sous-représentation des minorités dans les panels d’intervenants et dans les thématiques abordées. La parodie des outils de communication (affiches dans des lieux culturels liégeois, site internet, événements sur Facebook…) ciblait évidemment directement les Grandes Conférences liégeoises. Pourtant, elles ont encore fait l’autruche.

Affiche d'une des Très Grandes Conférences liégeoises (2022)

En 2023, des citoyennes nous envoient des mails pour nous avertir de leur indignation car, encore une fois, à l’affiche, il y a 1 femme et 6 hommes. Nous avons réagi de façon plus soft, mais toujours chatoyante, par une publication diffusée sur les réseaux sociaux (ici).

Publication Instagram de 2023
La récidive de trop ?

Lorsqu’un beau matin de septembre 2024, une journaliste de la DH nous contacte pour  avoir notre avis sur la vingtième programmation des Grandes Conférences liégeoises, nous avons encore gloussé dans notre barbe. L’article est savoureux (ici) tant l’organisation peine à se justifier.

S’est-elle sentie si acculée qu’elle a prévu de mobiliser 4 policiers en civil pour la première conférence de cette année ? Notre poil au menton a rarement autant terrorisé les bastions du patriarcat : nous en sommes très flaté∙es !

Notre discours

20 ans de patriarcat, ça se fête ! Le Conseil d’Administration des Grandes Conférences liégeoises était présent pour l’occasion. Bien blancs, bien vieux, bien enfoncés dans les sièges de velours rouge de la salle du Palais des Congrès, ils sont venus afin de célébrer l’ouverture de cette saison anniversaire. Un tiers de la salle est rempli… Avant la conférence d’Etienne Klein (encore lui, cf. 2019 : oui, il y a tellement peu d’inventivité dans la programmation au fil des ans qu’on rappelle les mêmes intervenants masculins), nous devons entendre une introduction de madame Nadia Delaye, suivie d’un discours convenu de monsieur Melchior Wathelet (saluant l’ex recteur de l’ULiège, monsieur Bernard Rentier) et du discours lunaire de monsieur l’Échevin de la culture Mehmet Aydogdu.

Assurément, après ça, nous ne pouvions que faire mieux. Dès que le conférencier commence à parler, nous mettons nos barbes et montons sur scène…

Messieurs, Messieurs, Messieurs, 

Depuis 2005, la programmation des Grandes Conférences liégeoises touche à la perfection : une femme, une seule pour chaque saison ! Cette année encore nous sommes soufflées par le choix de casting presque parfait pour nous exposer les sujets sérieux de physique, de géopolitique ou d’économie : 7 conférences, 6 hommes, bravo ! 

Nous étions venues ici même en 2019 pour le même type de discours. Quelle joie de voir à nouveau le même intervenant : Monsieur Étienne. Merci de nous faire l’honneur de représenter une seconde fois les voix masculines de la science.

Nous ne doutons point qu’il est préférable d’accueillir un homme conférencier qui profite de l’effet Matilda. Autant s’attribuer des travaux scientifiques réalisés par des femmes, puisque, de toute façon, à ce qu’il parait, “les femmes ne répondent pas à l’appel” ! Et puis quoi ? Que faudrait-il faire pour qu’elles viennent ? Faudrait-il mettre en place, comme dans les blocs de l’Est durant la guerre froide, des bourses ? des structures collectives de garde d’enfants ? ou des aides aux tâches ménagères ? Leur céder notre place d’homme ? Pire encore, faudrait-il éduquer les hommes à assumer les tâches familiales pour libérer les femmes ? 

Françoise Balibar n’est pas invitée, mais bien victime de l’effet Matilda. Permettez-nous donc de la paraphraser : “Comme dans un avion en vol les femmes sont immobiles face au plafond de verre et le monde tourne sans elles. Le mouvement des femmes est comme nul puisqu’on ne le sent pas. 

Bon sang ! Un conférencier de qualité doit porter un pantalon et surtout une barbe ! Imaginez donc un monde où l’utérus pernicieux se glisserait dans des analyses de données et développerait des thèses ! Ce monde courrait à sa perte et le public de vos chères conférences s’en trouverait bouleversé. Pas de quota, ni de cessez-le-feu, c’est ça qu’on veut ! 

Alors monsieur Étienne, vous nous aviez prédit une amélioration lors de notre dernière rencontre, force est de constater que le statu quo du patriarcat à de beaux jours devant lui !  

Nous donnons-nous rendez-vous à une prochaine conférence ? 

Merci en tout cas à tous les conférenciers. Merci à Étienne, Jean-François, Christophe, Philippe, Baptiste et Jean-Pierre. 

La Barbe ! La Barbe ! La Barbe !

Réaction de l’organisation

Côté scène, nous n’avons pas eu le temps d’aller plus loin que le second paragraphe du discours : les 4 policiers en civil ont pris à parti certain∙es d’entre nous. Négociant avec eux 2 minutes d’action non-violente, nous avons pu entendre que, hésitants, ils demandaient l’avis de la personne organisatrice de l’événement : elle leur a donné l’ordre de nous faire cesser l’action sans délai.

Nous constatons que, après 4 interpellations non-violentes de notre part, elle n’est visiblement toujours pas prête à s’ouvrir à la diversité, l’inclusion, la nouveauté, au progrès social… Et qu’elle préfère l’usage de la force face à l’expression citoyenne.

À la revoyure ?

Côté salle, par contre, en dehors de quelques mâles croulants qui râlaient bruyamment, une partie du public nous a applaudi.es et a demandé à lire notre discours complet. Nous remercions aussi les spectateur∙ices nous ayant manifesté leur soutien après l’action. C’est que notre action a quand même trouvé très bon public ! Se pourrait-il qu’on y prenne goût ?!

Aux Grandes Conférences liégeoises, la connaissance est l’apanage des grands hommes

Le 10 janvier 2019, nous avons adressé nos vives félicitations aux mâles organisateurs et intervenants des Grandes Conférences Liégeoises. Nous avons vanté la qualité et l’expertise des conférenciers et des experts, un 6/7 masculin pour cette édition des Grandes Conférences Liégeoises. Le temps de la connaissance est réservé aux hommes !

Le discours : « Le temps de la connaissance est réservé aux hommes »

Ce soir, c’est le temps de la physique quantique. Il est heureux de constater qu’une fois encore, les sujets sérieux tels que les sciences reconnues comme « dures » sont traités avec virilité.

Nous félicitons les organisateurs des grandes conférences liégeoises de garantir une masculinité majoritaire dans le choix de leurs intervenants. Rappelons que sur les 98 conférences programmées ces dernières années, seules 17 femmes sont intervenues! On ne peut quand même pas laisser les sujets sérieux aux femmes. Leur cerveau n’est pas adapté à la compréhension des sciences, il est plus léger que celui des hommes.Les femmes sont douces, sensibles, attentionnées, elles se laissent dépasser par leurs émotions, alors que nos nobles domaines nécessitent froideur, sérieux, rigueur et fermeté, bref, des qualités masculines!

Si même elles réussissent leurs études, les charges scientifiques ne permettent pas une maternité épanouie. Il est trop difficile de combiner vie de famille et carrière scientifique. La preuve en est : combien de femmes ont reçu un prix Nobel en science? Pouvez-vous m’en citer? C’est difficile, elles ne sont que 3% à mériter ce titre. En Belgique, on compte seulement 21% de femmes chercheuses alors que la parité est présente au moment des études.

Et merci au plafond de verre persistant qui nous protège de l’invasion des femmes et nous permet, chers messieurs, de conserver de hautes fonctions académiques et de prendre les devants des connaissances.

Merci à nos conférenciers de cette année, David, Hugues, André, Étienne, Aymeric, Stéphane et François d’éviter aux femmes le stress que peut entraîner la réalisation d’une conférence tout en nous informant sur l’avancement du monde !

La Barbe La Barbe La Barbe !


Vidéo de l’intervention de La Barbe Liège aux Grandes Conférences liégeoises, le 10 janvier 2019 au Palais des Congrès, devant des salles de 1500 places.

La presse en parle : article de Boulettes Magazine